Читать книгу 📗 "Demain - Musso Guillaume"
Une décharge d’adrénaline lui traversa le corps. Elle vérifia que les clés de voiture faisaient bien partie du trousseau et poussa une exclamation muette :
La voilà mon idée !
Pour éviter l’accident, elle allait tout simplement dérober les clés du fameux coupé Mazda que Kate devait conduire le soir du drame. Ensuite, elle volerait la voiture, l’abandonnerait à trois cents kilomètres de là, l’incendierait ou la balancerait dans un ravin.
Plus de voiture, plus d’accident !
Elle s’empara des clés et traversa le bar pour quitter l’établissement avant le retour de Kate. Elle pressa le pas et baissa la tête pour ne croiser aucun regard, mais dans sa fuite précipitée, elle bouscula un client qui venait de commander une boisson au comptoir. Il encaissa le choc, mais renversa la moitié de sa tasse de café sur son plateau.
Emma se confondit en excuses.
– Pardon, je suis désolée, je…
C’était un grand type mince aux cheveux clairs coupés court, vêtu d’un jean noir, de baskets en toile, d’un pull à col roulé et d’une veste en cuir à l’encolure doublée de mouton. Son visage ovale, très maigre, était mangé par une barbe de trois jours et encadré de lunettes de soleil en écailles blondes.
– Laissez tomber ! assura-t-il sans même la regarder.
Pressée de disparaître, Emma fut soulagée de s’en tirer à si bon compte. Avant de pousser la porte, elle ne put s’empêcher de tourner la tête pour jeter un dernier regard.
Dans le fond de la salle, l’homme avait rejoint Kate.
Il l’enlaçait.
Il l’embrassait.
*
Ce n’est pas possible.
Elle arrêta son mouvement et resta scotchée, incapable de faire le moindre geste. Kate ne pouvait pas avoir d’amant. Emma plissa les yeux. Elle devait se tromper, mal interpréter certains gestes. Cet homme n’était peut-être qu’un membre de sa famille, son frère ou bien…
– Je peux vous aider, ma p’tite dame ?
Derrière son comptoir, le patron l’observait d’un air dubitatif.
– Faut vous décider. Vous rentrez ou vous sortez. Z’allez finir par vous prendre la porte dans la figure.
– Je… je cherche des serviettes en papier.
– Bah, fallait les demander. Tenez.
Elle attrapa la liasse qu’il lui tendait et retourna s’asseoir à sa table, s’efforçant d’être la plus discrète possible. Elle eut le réflexe de sortir son téléphone, le bascula en mode caméra et le posa sur la table pour filmer la scène.
Son cœur battait fort dans sa poitrine. Elle songea à Matthew qui idéalisait sa femme. À la scène à laquelle elle avait assisté hier : cette complicité familiale et amoureuse qui émanait de leur couple. Comment pouvait-on à ce point feindre des sentiments ?
Non, quelque chose ne cadrait pas. Vu la dévotion que Matthew continuait de porter à sa femme après sa mort, il paraissait peu probable que celle-ci ait été amoureuse d’un autre homme. Shapiro n’était pas un imbécile, il s’en serait aperçu, c’était évident. Mais n’est-il pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ?
Nom de Dieu !
Elle ne savait plus que penser. Elle essaya de se persuader que Kate et le mystérieux inconnu n’étaient pas amants, mais leurs attitudes étaient pourtant sans ambiguïté : promiscuité, doigts emmêlés, regards accrochés l’un à l’autre. Kate se laissa même aller à caresser le visage et les cheveux du type.
Emma vérifia que son téléphone continuait de filmer. La scène à laquelle elle assistait apparaissait à ce point surréaliste qu’elle devait en garder la trace.
Le type avait une petite quarantaine. Une beauté peut-être un peu sophistiquée et fragile. Un physique qui n’était pas totalement étranger à Emma…
Elle ne pouvait pas entendre ce qu’ils disaient, mais il ne faisait aucun doute qu’ils étaient tous les deux préoccupés. Par quoi ? L’homme était-il marié de son côté ? Essayaient-ils de se persuader de quitter leurs conjoints respectifs ? Ces suppositions renvoyèrent Emma à sa propre histoire et à des souvenirs pénibles de sa relation avec François.
Elle chassa ces pensées et prit soudain conscience du danger. Le pub était aux trois quarts vide. On allait finir par remarquer son manège. Elle éteignit son téléphone et battit discrètement en retraite.
L’air glacé lui fit du bien. Elle en inspira plusieurs goulées pour recouvrer ses esprits. Elle renonça à reprendre son vélo et s’avança vers l’un des taxis de la file de voitures qui patientaient devant l’entrée de l’hôtel Marriott.
Tant pis pour la caution de la bicyclette !
Au moment de monter dans le véhicule, elle réalisa que le trousseau de Kate devait sans doute contenir la clé de la maison familiale. Elle avait donc la possibilité de s’introduire au domicile des Shapiro et c’est cette destination qu’elle donna au chauffeur. Arrivée à Louisburg Square, elle fit le tour de la bâtisse, se demandant si Matthew et sa fille se trouvaient à l’intérieur. Elle s’interrogea sur l’opportunité de sonner à la porte pour le vérifier, mais y renonça.
Inutile que le « Matthew de 2010 » soit au courant de mon existence…
Elle remarqua aussi le petit sticker collé sur la fenêtre qui mettait en garde contre la présence d’un système d’alarme.
Merde…
Avoir les clés ne lui servirait pas à grand-chose si une sirène hurlante se déclenchait quelques secondes à peine après qu’elle aura poussé la porte.
Elle nota mentalement le nom de la société de surveillance avant de rebrousser chemin pour ne pas attirer l’attention. Désireuse de réfléchir tranquillement, elle se réfugia dans une boutique de cupcakes de Charles Street. Un lieu hybride à l’ambiance rétro qui offrait à ses clients la possibilité de déguster les pâtisseries, attablés à un comptoir en bois brut. Emma s’installa sur un tabouret et sortit son ordinateur. Pour la forme, elle commanda un café et une part de cheese-cake avant de se connecter à un annuaire en ligne pour trouver le numéro de téléphone des Shapiro. Elle appela et tomba sur le répondeur. Un message familial où même la petite Emily avait été mise à contribution. Elle raccrocha et rappela dans la foulée pour être certaine que la maison était vide. Puis elle contacta l’Imperator et demanda à parler à Romuald Leblanc.
– J’ai besoin de toi, tête de blatte.
– J’allais justement vous téléphoner, mademoiselle Lovenstein.
– Tu as du nouveau sur mon histoire ?
– J’ai envoyé certains de vos mails à Jarod. C’est l’un de mes amis informaticiens. Le plus doué que je connaisse. Il m’a dit qu’au début des années 2000, sur de nombreux forums, certains internautes avaient laissé des messages en prétendant venir du futur et être des voyageurs temporels. Bien entendu, c’étaient de mauvaises blagues, mais dans votre cas, c’est différent : le saut dans le temps marqué par l’horodatage des serveurs est un élément très troublant que mon ami est incapable d’expliquer. Je suis désolé.
– Tu as fait de ton mieux, merci. En fait, je t’appelle pour autre chose. Si je te donne l’adresse d’une habitation à Boston ainsi que le nom de la société de surveillance ayant installé le système d’alarme, serais-tu capable de le désactiver ?
– De le « désactiver » ? répéta mécaniquement le geek. Qu’est-ce que vous entendez par là au juste ?
– Tu te fous de moi ou quoi ? Est-ce que tu saurais neutraliser un système d’alarme à distance ?